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« Mon mental me retenait prisonnier »

A l’âge de 50 ans, Gordon Dow a laissé derrière lui sa carrière de criminel pour ouvrir son cœur à l’amour et à la paix. A l’origine de sa transformation, la Communication NonViolente qu’il a reçue en prison. Voici son récit de vie.


Par Véronique Pardonnet


Lorsque j'étais petit garçon, avec mon frère et ma sœur, nous n’avions pas une vie heureuse car nos parents n'étaient pas en capacité d'offrir amour et compassion à leurs enfants.

Il y avait de la violence à la maison. J'en suis arrivé à croire que la violence était la manière dont les gens se comportent naturellement les uns avec les autres. J’étais l’aîné et je ne pouvais pas protéger mon frère et ma sœur. Je me suis senti démuni, impuissant, car ma seule vraie famille, c'était mon frère et ma sœur.

A cause de cette violence, nous les enfants, étions régulièrement confiés à des familles d'accueil et souvent séparés. Donc, j'ai appris tôt que le monde est un lieu difficile et dangereux, injuste.

J’avais appris aussi que le cœur était le siège d’émotions compliquées : qu'il fallait que je m’en protège.

Je grandissais. Ma colère grandissait avec moi tandis que mon cœur se durcissait.


Marié à 16 ans


A 12 ans, j'ai commencé à me bagarrer et à commettre quelques petits larcins : voler, faire du vandalisme. Et mon expérience c’était que le monde était horrible.

Deux fois on m'a arrêté et j’ai tenté l’évasion. J’ai grandi vite !

La première fois que je me suis marié, j'avais 16 ans et un mois et ma femme 15 ans et demi. On a falsifié nos papiers d’identité pour pouvoir s’épouser.


J'étais convaincu que dans la vie, il n'y avait que deux choix : prendre la merde que chacun reçoit ou se défendre et la renvoyer ! Et mon choix, à moi, était toujours de me battre, de rendre coup pour coup.

Mon cœur s'endurcissait encore et encore, car j'étais convaincu que le monde était difficile et c’était la seule façon dont je disposais pour m’en préserver.


A 19 ans, en 1963, j’ai été arrêté pour la première fois en tant qu’adulte. J’étais suspecté d’avoir commis un vol à main armé. A l'époque, au Texas, les prisons étaient ségrégationnistes : prisons pour blancs, prisons pour noirs. J'ai eu vraiment peur. Et la chose que je détestais le plus, c'était d'avoir peur ! Ce qui a fait augmenter encore ma colère. Elle me brûlait à l’intérieur. Je vivais à partir d’elle. J’étais assez dur pour que les autres prisonniers me fichent la paix. Tout ce que je pouvais vivre me confirmait que le monde est difficile et dangereux. C’est ainsi que j’ai passé mes 18 mois de détention.


Devenir de plus en plus dangereux


Je devenais de plus en plus dur. Je suis sorti de prison, déterminé à être encore plus dur et dangereux : un homme que les autres auraient vraiment très peur de blesser.

Et j'ai commencé à vendre de la drogue. Je suis devenu trafiquant de Marijuana. Au Mexique, c’était facile. En 1967, j’ai élargi mon marché en « dealant » du haschich que j’allais chercher dans la vallée de la Bekaa au Liban, puis, lorsque la guerre civile a éclaté au Liban, j’allais me fournir au Maroc.

Bientôt, j'ai réalisé que les gens s'intéressaient aussi à la cocaïne : alors, je m’y suis mis aussi.

Faire du trafic de drogue c'est intense, excitant, dangereux, il faut être extrêmement attentif, il faut leurrer ce monde. J'ai appris et appris… Nous travaillions en groupe. J’ai pris l’habitude d’être toujours armé, même la nuit. Je dormais avec une arme sous mon oreiller.


Quand je regarde en arrière, je vois que tout ce que je voulais, c'était être en sécurité, mais jamais je ne me sentais en sécurité.


J'ai quitté les Etats-Unis. Je vivais là où il était plus facile de corrompre la police, là où il n’y avait pas trop de jugements moraux sur la drogue.

En 1987, j’ai été arrêté pour la seconde fois, au Canada. J’ai écopé d’une peine de prison de 3 ans. En tant qu’étranger, j’ai purgé cette peine dans le quartier de haute sécurité. Ma colère ne faisait que croître. J'ai eu 5 enfants avec 5 femmes différentes. Je ne suis pas très fier de cela. Je ne me suis pas comporté comme un vrai père. J’étais tout le temps loin, accaparé par mes « affaires » : je croyais que si je leur donnais de l'argent, c'était cela être responsable !

Pas une fois je n'ai regardé à l'intérieur de moi : je continuais à rendre coup pour coup à ce monde affreux.


Méditer, pour tromper le système !


En 1994, j’ai été arrêté aux Etats-Unis. C’était ma troisième arrestation. Les preuves étaient accablantes et je savais que j'irai en prison pour longtemps. Alors que j’attendais que l’on me juge, je me suis souvenu d’un ami qui avait voyagé pour notre business, qui avait quitté notre groupe et s’était engagé dans une pratique bouddhiste. Il vivait une autre vie, il méditait !

Pendant que j'attendais ma sentence, j'ai pris la décision de « faire le moine » - parce que je sais qu’en prison, on n’empêche pas les gens de pratiquer leur religion.


J'ai commencé à méditer puisque les moines font cela ! Les geôliers me voyaient méditer et j'étais très fier de moi : j'avais découvert comment avoir un peu de pouvoir en prison.

Je suis resté assis encore et encore, mais pas pour les bonnes raisons… ! C’était ma façon de tromper le système.


Mais au bout de deux ans assis, mes pensées se sont mises à arriver à la surface comme des bulles et j'ai commencé à reconnaître que le monde n'était pas exactement celui que je croyais et que moi-même, je n'étais peut-être pas l’homme dur et dangereux que je m’efforçais d’être.

La méditation a commencé à me transformer. Et j’étais d’accord.


J'ai formé une communauté avec d'autres prisonniers et on se donnait du soutien. Cela a duré environ 5 ans. Je devenais peu à peu un autre à l'intérieur : Je laissais mes souvenirs d'enfance remonter et aussi tout le mal que j'avais infligé aux autres. J'ai commencé à regarder cela autrement et à prendre ma part de responsabilité dans ce que j'avais fait.

Pendant plus de 30 ans, j'ai vécu d’une façon qui avait généré beaucoup de larmes et de souffrances pour beaucoup de personnes.


Des ateliers CNV en prison


J’étais déterminé à ne plus agir ainsi en sortant de prison. Peut-être, en devenant un vrai moine ?! Un jour un prisonnier « méditant » m’a tapé sur l’épaule et m'a dit : « Il y a un atelier CNV, le week-end prochain. Cela pourrait t'intéresser. »


J'ai été à ce séminaire. Une petite femme, Lucy Liu, nous a parlé pendant deux jours. Je n'ai pas compris grand-chose mais j'ai compris comment elle était : sans jugement, avec sa présence totale et son cœur ouvert, elle n'attendait rien de nous.

J'en voulais plus ! Dans les années qui ont suivi, j’ai été absolument à tous les ateliers de Lucy et de ses collègues qui ouvraient leur cœur.

Et tandis que j'en apprenais de plus en plus, j'ai commencé à apprendre comment vivre. A près de 50 ans ! J’avais compris que je n’étais pas retenu prisonnier par des murs de béton et d’acier mais bien par les murs de mon mental.


La Communication Non Violente m'a ouvert une porte vers ce monde dont je n'avais jamais fait l'expérience : une communauté où il a de l'amour, de la compassion, où l’on prend soin de soi et des autres, où l’on peut offrir et obtenir du soutien.


En 2001, sorti de prison, je suis allé voir ces personnes et me suis accroché à elles et j'ai appris comment devenir humain, à ouvrir mon cœur pour m’accueillir, moi et les autres. Ce monde est tellement différent de là où j'ai vécu que je me suis donné à ce processus et que je me suis engagé à le partager avec d'autres prisonniers, et toutes celles qui le souhaitent, et cela pour le restant de ma vie.


C'est dur pour moi de trouver les mots pour dire à quel point j'accorde de la valeur aux qualités du processus de la Communication NonViolente. J’ai une profonde gratitude pour tous ces gens qui partagent comment vivre en harmonie avec son cœur. »



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